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Jan Jacob Boom-Wichers, président d’HoloSolis : « Nous allons investir 850 millions et embaucher 2 000 personnes en Moselle »

En Moselle, la société HoloSolis s’apprête à construire une méga usine de production de panneaux solaires. Le consortium européen investira 850 millions d’euros et emploiera 2 000 salariés. Jan Jacob Boom-Wichers, président de la structure dévoile tous les secrets du projet et de cette filière encore peu développée en Europe.

Publié le 21/07/2024 à 08h31
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En Moselle, la société HoloSolis s’apprête à construire une méga usine de production de panneaux solaires. Le consortium européen investira 850 millions d’euros et emploiera 2 000 salariés. Jan Jacob Boom-Wichers, président de la structure dévoile tous les secrets du projet et de cette filière encore peu développée en Europe.
Publié le 21/07/2024 à 08h31
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Vous comptez construire une méga usine de panneaux photovoltaïques en Moselle. À quoi ressemblera-t-elle ?

Jan Jacob Boom-Wichers : Nous nous apprêtons effectivement à construire la plus grande usine de panneaux photovoltaïques d’Europe à Hambach en Moselle. Elle produira des panneaux, mais également des cellules, soit les deux dernières étapes de la chaîne de valeur. Nous nous tournons vers un projet d’une ampleur colossale parce que c’est l’unique moyen de pouvoir atteindre des économies d’échelle. Une petite usine ne peut proposer de prix compétitifs, comme dans l’industrie automobile : soit vous produisez des Bugatti, soit des Peugeot.

Votre usine en chiffres, ça donne quoi ?

L’idée est de parvenir à produire 5,1 GW de panneaux sur le site, ce qui correspond à 550 millions de cellules et 10 millions de panneaux selon la technologie N-type TOPCon, qui est la technologie la plus innovante du moment. Elle a été inventée par un groupe de quatre personnes dont l’un d’entre-eux est notre directeur technique. Cela nous permet de maîtriser le sujet. Nous avons signé la promesse de vente en avril dernier pour un terrain de 50 hectares [acheté 5,5 millions d’euros à la communauté d’agglomération Sarreguemines Confluences – Casc] localisé le long de l’autoroute A4 à Hambach. Cette promesse a été validée par la Communauté d’Agglomération Sarreguemines Confluences ainsi que par nos actionnaires. Nous allons construire plusieurs bâtiments sur 18 hectares. Le plus grand, de 550 mètres de long sur 150 mètres de large, sera consacré à la fabrication des cellules photovoltaïques. Il comprendra une salle blanche, parce que pour ces produits, il faut éliminer la moindre poussière, comme pour les semi-conducteurs dans les ordinateurs ou les voitures. Ces cellules iront ensuite dans un autre bâtiment de 350 mètres de long, là où seront fabriqués les panneaux. Tous les équipements viendront en partie d’Europe, mais aussi d’Asie parce que certains matériels ne sont plus fabriqués chez nous. L’investissement lié à cette usine culmine à 850 millions d’euros. Le premier coup de pelle sera donné au deuxième trimestre 2025 et notre première ligne sera opérationnelle dès septembre 2026. Nos capacités de production monteront graduellement en puissance jusqu’en 2028.

Au départ, vous aviez annoncé la création de 1 700 emplois. Désormais ça serait plutôt 2 000. Pouvez-vous confirmer ce nombre ?

Lorsque vous vous lancez dans un tel projet, vous regardez combien de personnes sont nécessaires, poste par poste. Nous allons fonctionner en 3×8 la semaine et en 2×12 le week-end. Notre processus de production passe par une quinzaine d’étapes. Nous avons donc calculé au fur et à mesure, ce qui explique que nous avons rehaussé nos estimations. Je confirme que nous aurons besoin de 2 000 salariés pour assurer le fonctionnement de nos trois lignes de production dont la capacité sera de 1,7 GW pour chacune. Elles sortiront de terre à 9 mois d’intervalle.

Comment allez-vous procéder pour vous alimenter en électricité ?

Dans tout projet industriel, ce qui est fondamental, c’est l’alimentation électrique. Sur site, nous avons déjà l’équivalent de 22 mégawatts, ce qui est suffisant pour construire l’usine et faire fonctionner la première ligne de production de 1,7 GW depuis laquelle sortiront 3,3 millions de panneaux photovoltaïques par an. En ce qui concerne la deuxième et troisième ligne, nous avons signé un contrat avec RTE pour une ligne qui passe par Sarreguemines et qui arrive jusqu’à notre usine en apportant 100 mégawatts supplémentaires. C’est une puissance extraordinaire. C’est le nerf de la guerre. Autrement ce serait comme partir en vacances sans essence dans la voiture. Cette ligne électrique sera mise en service en octobre 2026 tandis que nous commencerons à exploiter notre deuxième ligne en 2027. Le timing est parfait.

Comment est organisée l’entreprise HoloSolis ?

HoloSolis est un consortium européen. L’entreprise est localisée à Paris, à proximité des ministères. Nous avons aussi une antenne à Sarreguemines. HoloSolis s’appuie sur cinq actionnaires : Inno Energy, un groupe leader dans la réindustrialisation énergétique européenne qui est aussi l’un des actionnaires du groupe Verkor dont l’ambition est de construire la plus grosse usine de batteries en France. Nous avons aussi l’appui du groupe industriel nantais Armor Group, de l’opérateur immobilier Idec, spécialisé dans la construction, de TSE, un groupe orienté vers les grandes centrales photovoltaïques agricoles et d’Heraeus, un groupe allemand qui pèse 29 milliards d’euros de chiffre d’affaires et qui fabrique la pâte d’argent que nous mettons sur les cellules photovoltaïques.

Pourquoi avoir choisi le Grand Est pour implanter votre méga usine ?

Pour nous installer, nous avions le choix : nous avons analysé 40 sites à travers 6 pays. La France nous a apporté des fonds dans le cadre du crédit d’impôt industrie investissement vert et la Région Grand Est, ainsi que la Casc, ont aussi manifesté un fort intérêt.

La Moselle est un choix extrêmement conscient : ici il y a un environnement industriel, avec un véritable savoir-faire des salariés. Ça compte beaucoup. Il y a des territoires qui n’ont jamais vu d’usines et qui associent encore ces filières à Germinal. L’autre point est qu’à Hambach, nous pouvions bénéficier d’un terrain prêt à l’emploi unique en France. Avec des accès à l’eau, au gaz et à l’électricité, et de taille suffisante. Aussi, la communauté d’agglomération a l’habitude de traiter avec des sociétés industrielles d’envergure puisqu’elle le fait au quotidien avec Continental à Sarreguemines ou avec Ineos à Hambach.

De votre côté qu’allez-vous apporter au territoire ?

De l’emploi ! Notre objectif est que nos salariés soient majoritairement issus du territoire : du pays de Bitche, de Sarreguemines… Tous les gens du Grand Est et des autres départements, ainsi que ceux venant d’Allemagne et des pays limitrophes seront aussi les bienvenus. Tous ceux qui savent assembler une voiture sauront faire de même avec un panneau photovoltaïque. Nous recherchons de nombreux profils, également pour travailler dans le laboratoire de recherche et développement qui se trouvera aussi sur le site de l’usine. Nous assurerons toutes les formations en interne. La Moselle a une forte appétence pour l’industrie automobile. Nous allons apporter une toute nouvelle industrie sur le territoire, ce qui permettra de diversifier les savoir-faire.

Comment avez-vous pu lever une telle opération alors que les fonds propres de l’entreprise HoloSolis ne sont « que » de 750 000 euros ?

Il faut faire très attention lorsque l’on regarde combien une entreprise a de fonds propres. Il n’y a pas forcément de lien avec ce qu’elle a reçu des investisseurs. Les fonds propres sont déterminés par rapport à la valeur nominale d’une action qui peut être vendue à un centime alors que sa valeur actuelle est plus importante. Votre capital social représente le capital que les financeurs ont investi au départ. Aujourd’hui, la valeur des investissements déjà réalisés est nettement plus importante. Je ne peux donner les détails, mais ça correspond à plus de 10 millions d’euros.

Comment sera financée l’usine ?

Notre financement provient de nos investisseurs actuels qui seront rejoints par de nouveaux investisseurs. Nous avons également recours à de la dette bancaire et nous nous appuyons sur des subventions. Les 850 millions d’euros seront injectés par tranches et nous ne demandons pas aujourd’hui à recevoir la totalité de la somme. Nous comptons aussi sur des levées de fonds.

Des levées de fonds que vous êtes certain de pouvoir valider ?

Bien sûr. Nous travaillons à fond dessus. Pour réussir ce type d’opération, il faut un marché. Sitôt qu’il existe, vous levez des fonds. En ce qui nous concerne, le marché est énorme depuis la mise en place du NZIA [acte pour l’industrie zéro émission nette]. Il a été voté et ratifié au niveau du Parlement européen et du Conseil européen.

En quoi ce règlement est-il décisif pour vous ?

Ce règlement stipule que 40 % des panneaux photovoltaïques installés en Europe en 2030 doivent être fabriqués en Europe. Or, on estime que les besoins du marché sur le Vieux continent à cette échéance seront de 100 GW. Je crois même que ce sera plus important. Avec le NZIA, 40 GW devront donc provenir d’Europe. Nous allons en produire 5,1. Il faudrait 8 usines comme la nôtre pour répondre à la demande du marché. Nous avons déjà prévu de construire une deuxième usine qui sera plus grande encore que celle de Hambach, et une troisième, qui sera encore plus grande. L’idée est de devenir un leader européen du photovoltaïque. Pour ça il faut d’abord que nous nous concentrions sur notre projet mosellan.

Malgré l’instauration du NZIA en Europe, la concurrence chinoise reste féroce. Comment composer avec ?

Avec le règlement NZIA, chaque pays européen peut créer sa propre règle. En Italie, celui qui installe un panneau photovoltaïque de fabrication européenne sur sa toiture bénéficiera d’un crédit impôt allant jusqu’à 35 %. Pour le client final, au lieu de s’offir un panneau chinois, il pourra payer bien plus pour un panneau européen grâce à cet avantage fiscal. De son côté, la France se penche sur les empreintes carbones émises par le pays producteur de panneaux pour attribuer ses appels d’offres. Cela élimine l’avantage que les acteurs Chinois peuvent apporter en dumpant le marché. En France, 75 % de l’électricité provient des centrales nucléaires et des barrages hydroélectriques. En Chine, 95 % de l’électricité est issue des centrales à charbon. L’empreinte carbone de l’électricité chinoise est 18 fois pire que celle de la France. Sans compter le coût social, médical. Tout ça est désormais regardé de près dans les appels d’offres. Ces lois sont nécessaires pour maintenir une souveraineté énergétique qui est crucial.

Les prix européens sont-ils condamnés à être supérieurs que ceux chinois ?

Nos prix sont supérieurs parce que le gouvernement chinois subventionne de façon incroyable aussi bien les usines de véhicules électriques, que celles de batteries, ou celles de panneaux photovoltaïques. En revanche, si un groupe chinois implantait son usine en face de la nôtre à Hambach, les coûts de production seraient identiques. Il y a également des questions de droits sociaux : ce n’est pas cher parce que les salariés n’ont pas les niveaux de rémunérations que l’on trouve en Europe. Les conditions de travail n’ont rien à voir non plus.

De façon générale, et alors que l’Europe tente de se réindustrialiser, comment voyez-vous la concurrence entre l’Europe et l’Asie sur le plan industriel ?

La première révolution industrielle s’est faite à base de charbon. L’Europe s’en est très bien tiré parce que nous avions la matière première. La preuve dans le Grand Est : de grandes usines ont pu voir le jour.

La deuxième révolution industrielle s’est réaliséE à partir du pétrole, et cette fois, la situation s’est avérée être nettement plus compliquée : parce que ni la France ni l’Europe n’ont de pétrole. Tous les ans, nous devions acheter notre pétrole et notre gaz à des pays étrangers qui en plus ne portaient pas forcément nos intérêts dans leur cœur. Finalement l’Opec a fini par augmenter les prix en 1975. Et on en arrive à 2022, où l’Europe a dépensé 900 milliards d’euros vers des nations extra-européennes.

Aujourd’hui nous enclenchons la troisième révolution industrielle autour de l’électrification à base d’énergie propre. Nous devons aller vers cette révolution pour sauver la planète. Mais il ne faut pas la laisser aux mains de l’Asie.

L’année dernière l’Europe a déboursé 18 milliards d’euros pour acheter des panneaux photovoltaïques à l’étranger. 95 % de cet argent est allé en Chine. Il faut se poser la question : pourquoi la Chine est en train de dumper les panneaux solaires ? Pour que l’Europe se réjouisse d’obtenir du matériel pas cher et se dise qu’elle n’a pas besoin de créer ses propres usines. Mais demain, lorsqu’ils auront le monopole que feront-ils ? Ils augmenteront les prix, comme l’Opec avec le pétrole.

La crise sanitaire a malgré tout changé la donne…

L’Europe et ses leaders ont compris que nous devions nous réindustrialiser. Pendant le Covid nous nous sommes aperçus que nous dépendions de la Chine pour les défibrillateurs, les aérateurs, les masques… Et pourquoi ? Pour quelques économies ? C’est pour ça que les objectifs de réindustrialisation sont de bons signaux, et que la mise en place de règlements comme le NZIA sont primordiaux.

Et pourtant des acteurs de la filière du panneau photovoltaïque comme Systovi à Carquefou, ferme leurs usines. L’Allemand Meyer Burger affiche aussi des difficultés…

Le contexte est très difficile pour les petits acteurs, comme Systovi. Cette société produisait 40 MW/an. C’est comme fabriquer une Ferrari et la vendre au prix d’une Peugeot. Il est impossible d’avoir un prix industriel bas quand votre coût unitaire est élevé. C’est pourquoi il faut produire à très grande échelle. Le NZIA a pris du temps avant d’entrer en vigueur. et je pense que de nombreux acteurs ont souffert d’un mauvais timing. Ce qui est certain, c’est que je ne suis pas inquiet pour mon usine. La méga usine de HoloSolis se fera.

Qui sont les autres grands acteurs du photovoltaïque en Europe ?

À Catane, il y a l’usine Three Sun Gigafactory qui appartient au groupe Enel. Elle a une capacité de 3GW. Le gouvernement italien a mis en place sa politique fiscale avantageuse dont nous parlions pour 6GW. Donc ils arriveront à écouler leur production et il y a aura peut-être même de la place pour nous en Italie. On parle aussi du projet Carbon à Fos-sur-mer. Nous souhaitons que leur projet voit le jour parce que plus nous serons nombreux sur le marché et mieux ce sera. Ils ont une approche différente de la nôtre. Nous sommes positionnés sur les deux dernières étapes de fabrication : les modules et les cellules. Tandis que Carbon fait deux étapes de plus en amont de la filière. Ce qui me paraît personnellement être un risque industriel.

Propos recueillis par Jonathan Nenich

Cette interview est à retrouver dans le Mensuel Éco Grand Est numéro 58 de juillet-août.

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Qui est Jan Jacob Boom-Wichers, le président d’HoloSolis ?

Une enfance passée en France, des études aux États-Unis dans les finances et l’économie, avant d’épouser une carrière internationale. Néerlandais d’origine, Jan Jacob Boom-Wichers, 59 ans aujourd’hui, a travaillé en Chine, en Angleterre, aux Pays-Bas… Un véritable globe-trotter qui a connu plusieurs carrières : dans le domaine des médias en tant qu’éditeur, d’abord, puis dans le monde du panneau photovoltaïque. Dans cette filière, Jan Jacob Boom-Wichers, l’actuel président de la société HoloSolis, a exercé de hautes fonctions pour le compte d’entreprises de dimension mondiale. Comme chez REC Solar Impulse par exemple, il a assuré les postes de directeur général pour les États-Unis et le Benelux. Un nom familier en Moselle : REC Solar Impulse avait un temps envisagé d’installer une méga usine de production de panneaux photovoltaïques à 680 millions d’euros à Hambach sur l’emplacement de… HoloSolis. Passé sous pavillon indien, REC avait fini par abandonner le projet. Et c’est donc le consortium européen HoloSolis qui a raflé la mise, sous la houlette de son président en poste depuis 2022. En Moselle, la société envisage de construire une méga usine de production de panneaux photovoltaïques à 850 millions d’euros. 2 000 salariés seront embauchés.

Grand adepte de pêche à la mouche, de ski, et fan de magret de canard, Jan Jacob Boom-Wichers se plaît déjà en Moselle : « C’est un très beau territoire. Je trouve que les gens sont particulièrement accueillants et curieux de notre travail. » Et Jan Jacob Boom-Wichers le rend bien : « Je n’ai manqué aucune réunion publique concernant le projet. Avec les habitants, nous allons être voisins pendant longtemps. J’ai voulu m’impliquer personnellement. J’ai passé une partie de ma vie en province et j’en conserve un côté très terrien. »

Jan Jacob Boom-Wichers en 5 dates

1965 : naissance de Jan Jacob Boom-Wichers

2021 : création de la société HoloSolis

décembre 2022 : arrivée de Jan Jacob Boom-Wichers à la présidence de la société HoloSolis

2025 : début de la construction de l’usine à Hambach

2028 : 10 millions de panneaux photovoltaïques sortiront des lignes de HoloSolis

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